Modulations japonaises sur la poésie de Nerval

 

Hisashi MIZUNO


 

Comment un coeur japonais écoute-t-il différents chants poétiques modulés par Gérard de Nerval ?
Il faut reconnaître qu'une langue étrangère ne cesse de l'être. La vraie saveur du français échappe cruellement aux lecteurs étrangers ; par exemple, comment saisir l'âme des chansons du Valois transcrites par la plume nervalienne ?

Si j'étais hirondelle !
Que je puisse voler,
sur votre sein, la belle
j'irais me reposer !

C'est beau, oui, mais mon coeur d'étranger bat-il au même rythme que le coeur français ? Saisi par la douce nostalgie des souvenirs d'enfance, ne traduirais-je pas inconsciemment ces jolis vers dans notre version japonaise ? Et si c'était vrai, écouterais-je vraiment une chanson nervalienne du Valois ?

Heureusement, la langue française n'est pas toujours aussi farouche. Dans Sylvie, j'admire de nombreux tableaux ; la ronde de petites paysannes devant un vieux château ; le vol inattendu des cygnes au milieu d'un lac ; le mystère du Christ dans une atmosphère fantasmagorique. Lisant et relisant Sylvie, les noms de Mortefontaine, Ermenonville, Senlis, Châalis, Othys, Loisy, Montagny, Orry, Chantilly... résonnent avec une sonorité familière, à tel point que je finis par me dire : le Valois, c'est mon pays !

Nerval est un éternel voyageur qui se plaît à observer avec sympathie les moeurs singulières des pays lointains, en prenant conscience des préjugés enracinés dont sa propre société est imprégnée; il s'étonne agréablement d'un phénomène, à ses yeux, saugrenu, et il se convainc que les autres doivent s'étonner des habitudes des Français avec un sentiment pareille. C'est cet étonnement, respectueux, qui me touche. Le syncrétisme de Nerval ne résulte-t-il pas de son " relativisme de coeur " ?

Aurélia a une portée toute différente ; les études nervaliennes de l'âme humaine dépassent l'espace et le temps limités, et touchent bien des coeurs sensibles. Un air de religiosité flotte vaguement dans la société moderne du Japon ; on croit sans savoir en quoi. C'est un pays hautement industrialisé, et aussi polythéiste, où l'on vit encore dans et avec la nature.

Chaque fleur est une âme à la Nature éclose.

Ce beau vers nervalien peut passer pour une traduction de la pensée japonaise. Il est possible que l'aspect surnaturel d'Aurélia soit plus spontanément senti par les lecteurs de la civilisation asiatique que par les occidentaux. Le ciel que le « je » d'Aurélia voit « se dévoiler et s'ouvrir en milles aspects de magnificences inouïes » n'est-il pas comparable à un univers du Mandala ?

Lecteur japonais, j'écoute les voix de Nerval différemment que les Français. Mais, notre voyageur poétique ne refuserait pas les modulations d'un pays lointain comme le Japon.

 


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